"L'héritage des JO": Alain Bernard veut plus de piscines en France pour lutter contre les noyades

En France, 268 personnes ont perdu la vie par noyade entre le 1er juin et le 13 août 2025, un chiffre globalement stable par rapport à 2024, selon Santé publique France. Mais les autorités sanitaires pointent une hausse inquiétante des décès d’enfants et d’adolescents dans les cours d’eau, ainsi qu’en mer pour les adultes.
"On aurait pu en éviter. Le risque zéro n’existe pas, mais le meilleur moyen de ne pas se noyer, c’est de savoir nager et d’apprendre à nager le plus tôt possible. C’est un prérequis de l’Éducation nationale", regrette ce samedi sur RMC le double champion olympique Alain Bernard. Celui-ci regrette des "trous dans la raquette" en France depuis plusieurs années et pointe par exemple la faible rémunération des maîtres-nageurs (qui manquent partout en France), "pas à la hauteur" vis-à-vis de leurs responsabilités.
Cette année, la période de surveillance canicule du 19 juin au 6 juillet a vu bondir de 139 % le nombre de décès par noyade : 86 ont été enregistrés en 2025, contre 36 l’an passé. "Les conditions météorologiques de cette période ont probablement entraîné un afflux des populations vers les lieux de baignade pour se rafraîchir, et ceci à un moment où la surveillance des sites en milieu naturel n’avait pas systématiquement commencé", explique Santé publique France.
"Attention, peut-être que dans deux ou trois mois, si on ne relance pas le sujet, il retombera dans l’oubli faute de nouvelles statistiques sur les noyades et en l'absence de canicule", anticipe Alain Bernard.
En outre, le nombre de noyades suivies de décès en mer a augmenté de 40 % (113 contre 81), "concernant principalement les adultes", note l’agence sanitaire, qui insiste sur la "nécessité impérieuse de poursuivre la prévention sur le risque de noyades à tous les âges, particulièrement en amont et au cours des périodes de fortes chaleurs".
Or, les inégalités territoriales pèsent lourd : une enquête du Snep-FSU (syndicat des professeurs d’EPS) publiée en juin 2025 montre que près de 15 % des établissements scolaires n’ont pas accès à une piscine, soit 500.000 élèves, alors même qu’apprendre à nager est une priorité nationale inscrite dans le socle commun de compétences. Un collège ou lycée sur sept est concerné, notamment en zone rurale et dans les banlieues défavorisées.

"Ce qui est incohérent dans notre système, c’est que ce prérequis repose sur des infrastructures gérées par les collectivités locales. Certains bassins ont fermé : dans les années 70, sur un territoire de 20.000 à 30.000 habitants, il y avait une ou deux piscines. Aujourd’hui, il n’en reste souvent qu’une seule. Les temps de trajet augmentent, et les enfants passent moins de temps dans l’eau", indique Alain Bernard au micro d'Anaïs Matin.
Dans une tribune publiée dans Le Parisien avec Florent Manaudou, Alain Bernard dénonçait déjà début aout "la situation des piscines en France qui, en 2025, reste la même que dans les années 1970, à l’aube du plan Mille Piscines", et ce malgré "les excellents résultats de la natation française aux JOP de Paris 2024".
"Si chacun fait un petit peu de sport, ça peut aider à réduire le trou de la Sécurité sociale", avance Alain Bernard
Pour l’ancien champion, l’héritage promis par les Jeux reste insuffisant, alors que ces derniers ont dégagé un excédent budgétaire de 76 millions d'euros: "On nous a beaucoup vendu cet héritage, mais à part en Seine-Saint-Denis, où beaucoup de piscines ont été construites, le reste du territoire reste carencé. À Marseille par exemple, il y a une carence extraordinaire de piscines. La mer est là, mais ce n’est pas dans la mer qu’on apprend à nager." Alain Bernard verrait donc d'un bon oeil l'utilisation d'une partie de cette enveloppe "en guise d'héritage" dans la construction de centres aquatiques.
Le défi n’est pas de bâtir des équipements pharaoniques : "Il ne s’agit pas de financer des équipements de grand luxe ou dispendieux, mais de construire le juste besoin répondant aux attentes des territoires carencés. À l’instar des piscines Tournesol ou Caneton de l’époque, il existe aujourd’hui de nouveaux modèles, sobres en énergie et tournés vers l’apprentissage de la natation. Ils permettent de diminuer fortement les coûts d’investissement et d’exploitation."
Car le modèle économique actuel reste fragile : les entrées de piscine coûtent en moyenne 3 à 5 euros, quand il en faudrait 15 à 17 pour équilibrer, avance Alain Bernard. "Les élus ont le courage de lancer les constructions, mais l’exploitation est compliquée. Ils ne savent pas combien cela va leur coûter chaque année, et avec le contexte économique, il y a beaucoup de réticences."
Alain Bernard insiste sur l’enjeu de société : "La natation, ce n’est pas seulement la santé, c’est vital. C’est le seul sport obligatoire à l’école. Si on ne sait pas nager, on risque de mourir."
Pour lui, investir dans l’apprentissage de la natation n’est pas seulement une question de sport, mais aussi de santé publique : "Si chacun fait un petit peu de sport, ça peut aider à réduire le trou de la Sécurité sociale. C’est aussi un bienfait sociétal : quand on fait du sport, on est capable de respecter son adversaire."
RMC